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Clik here to view.Je connais quelques écrivains contemporains qui, en Savoie, en Franche-Comté et à Genève, reprennent des traditions légendaires locales et essaient de leur donner une dimension nouvelle, de les prolonger vers la mythologie.
Thononais, Freddy Touanen a publié de beaux contes sur le haut Chablais : ils sont pleins d'étranges figures symboliques, et baignent dans une belle atmosphère lunaire, argentée.
Plus au sud, dans le Val Gelon, à l'entrée de la Maurienne, Pierre Grasset a publié, en langue locale, des contes épiques, pleins de géants et d'images qui sortent des tableaux anciens pour se matérialiser parmi les hommes.
Une autre Thononaise, Clusienne d'origine, Elisabeth Charmot, avec son roman Les Mariés-des-Inons, a repris avec grâce des traditions fabuleuses de la vallée du Giffre, du Val d'Aoste et de Suisse. Ensuite elle a fait paraître un petit livre plein de beauté, situé dans un monde oriental ou méridional, Ce que Dit la Légende, pourfendu en son temps par le chroniqueur du Nouvel Observateur Alexandre Loeber :il était alors stagiaire au journal local Le Faucigny, et je lui avais répondu ; ma réponse avait été publiée. Il prétendait que le livre se posait comme similaire à ceux de Proust, mais qu'ils en étaient loin par le talent ; cependant, il faisait des images fabuleuses dont Proust orne ses souvenirs un monde cohérent, ayant son existence propre, et par conséquent, il ne demeurait pas dans les travées du maître, il allait plus loin, ou pratiquait un autre genre, et le faisait avec succès : j'avais l'impression que pour Alexandre, le genre même était honteux ! Mais il n'en est rien. Il n'y a que la critique française qui l'ait cru.
Je dois également parler de Jean de Pingon, Savoyard devenu suisse qui, au temps où il vivait au bord du lac d'Annecy, et avant qu'il ne se lance dans la politique, fit paraître Les Mémoires du roi Bérold, qui prolongeait discrètement le folklore traditionnel vers la science-fiction. Cela est apparu plus nettement Image may be NSFW.
Clik here to view.dans son second roman, composé après qu'il se fut éloigné à nouveau de la politique, Le Peintre et l'alchimiste : l'alchimie s'y plonge vers les mystères de l'immortalité, laquelle est représentée par des êtres célestes, mais dénués d'amour. Le lien avec la tradition savoyarde passe par la Savoie telle qu'elle était dans les temps anciens, intégrant le Valais francophone : car l'action se situe près de Saint-Maurice, et s'approfondit vers la Burgondie antique. Elle met notamment en scène une femme rendue immortelle par l'art des extraterrestres, et confondue avec la fée de la célèbre grotte en face de l'abbaye fondée par saint Sigismond. La fin matérialise des effets de lumière et fait s'approcher les présences cosmiques d'une manière impressionnante, qui rappelle un peu les dernières pages du Sceptre du hasard, excellent roman de Gérard Klein. Jean de Pingon s'est nourri de Ramuz, dans son style, mais il a modernisé son univers.
Dans sa poésie, le Chablaisien Marcel Maillet lie aussi l'hiver enneigé et la lumière qui baigne les saules du Léman à des figures divines, volontiers inspirées de la mythologie grecque - nymphes surgissant dans la clarté et disparaissant aussitôt, laissant plus de questions que d'affirmations sur le monde spirituel !
Quand j'habitais à Saint-Claude, en Franche-Comté, je rencontrais régulièrement l'abbé André Vuillermoz - qui essayait de créer une littérature mêlée de folklore et de légendes et qui animait, dans ses livres, des figures assez émouvantes. Je le rapprochais parfois de Blaise Cendrars, car il mêlait une forme de fantaisie et de liberté de ton à une passion authentique et profonde pour le merveilleux propre aux traditions populaires : il allait jusqu'à voir dans ses images féeriques le reflet de la religiosité propre au haut-Jura. Son plus beau livre, parmi ceux que j'ai lus, est sans doute Bestiaire insolite. La féerie s'y enracine dans un éther secret où se meuvent, invisiblement, mille êtres enchantés !
J'ai pu rencontrer également, à cette époque, l'excellente conteuse Edith Montelle - qui vivait à Ornans, la cité de Gustave Courbet. Elle a publié plusieurs beaux livres, qui montraient une capacité singulière à tImage may be NSFW.
Clik here to view.irer l'essence pure et belle des contes anciens : elle créait des mondes. Je me souviens qu'elle évoquait le capitaine Lacuson, héros de la résistance comtoise contre les rois de France, avec beaucoup de noblesse et d'élégance : elle disait qu'il avait échappé aux assiégeants d'un château qu'il défendait en montant sur l'encolure de la Vouivre qui l'avait emporté dans les airs : on l'avait vu distinctement chevaucher ce serpent de feu - qui, dans son vol, laissait une traînée d'arc-en-ciel ! Edith Montelle puisait au plus profond des traditions locales, touchant au seuil qui ouvrait sur des croyances très anciennes, marquées par exemple par l'idée de la réincarnation, qui était plus répandue qu'on ne pense dans l'antique Occident.
Je connais bien, à Genève, un poète qui a écrit une pièce de théâtre sur le célèbre saint suisse Nicolas de Flue, Galliano Perut. Il y montre l'un des fondateurs de la Suisse moderne suivant des signes et des visions, et une scène allégorique, faisant apparaître les saisons et les mois sous forme de danseurs colorés, est belle et sympathique, puisqu'elle manifeste le lien profond du saint avec son environnement naturel, la terre d'Helvétie.
Je dois dire qu'en dehors des auteurs de ces trois régions que je fréquente, je n'en connais pas qui aient, actuellement, mêlé le folklore à leurs écrits, sinon deux auteurs originaires d'autres lieux de la francophonie qui ont justement repris des légendes savoyardes, ou des motifs folkloriques savoyards, Michel Butor, qui dans L'Horticulteur itinérant, évoque les gnomes qui l'hiver travaillent sous terre dans les lieux qui entourent sa maison de Lucinges, et Pascal Quignard, qui a rédigé la légende de La Femme de Boèges, en lui donnant une explication psychanalytique alors qu'il s'agissait plutôt de réincarnation, mais dont le style est très gracieux, il faut l'avouer.
Ce que je ne connais pas, ce sont des motifs folkloriques d'autres régions réutilisés par d'autres auteurs actuellement en vie. Peut-être que cela viendra !
(Je signale que les auteurs savoyards évoqués dans cet article font pour la plupart l'objet d'un chapitre de Muses contemporaines de Savoie ; les autres ont pu faire l'objet d'un paragraphe dans Ecrivains en pays de Savoie.)